Les durées légales de protection

Une œuvre musicale française (chanson, symphonie, concerto etc.) est dite protégée aussi longtemps que son auteur, et ses héritiers pendant 70 ans après son décès, perçoivent des droits lors de sa diffusion (par exemple dans les concerts ou à la télévision) ou lors de sa reproduction (pressages de CD, de DVD, etc.).

C’est ce que l’on appelle la durée de protection légale

Au-delà de cette durée l’œuvre musicale « tombe » dans le Domaine Public, c’est à dire qu’elle appartient à la communauté. Nous y reviendrons plus loin.

En France aujourd’hui, comme dans la plupart des pays de l’Union Européenne, la durée de protection légale d’une œuvre musicale court de la date de sa publication jusqu’à 70 ans après le décès de l’auteur ou du dernier auteur vivant dans le cas d’une œuvre créée en collaboration. Cette durée de 70 ans débute le premier jour de l’année civile suivant le décès de l’auteur ou du dernier auteur vivant. On dit que l’œuvre musicale bénéficie d’une durée de protection post mortem.

Par exemple, prenons le cas de la célèbre chanson SUMMERTIME. George Gershwin en a composé la musique, et son frère Ira en a écrit les paroles avec Dorothy et DuBose Heyward. George Gershwin est décédé en 1937, mais son frère Ira, dernier auteur vivant, est décédé en 1983. C’est donc au minimum 70 ans après le 1er Janvier 1984 que SUMMERTIME tombera dans le Domaine Public en Europe. Nous verrons plus loin le cas spécifique des Etats-Unis.

Mais tout n’est pas si simple. Il existe en France des exceptions à cette règle.

En effet, les années de guerre (1914-1918 puis 1939-1945) s’ajoutent à la durée de protection de 70 ans après le décès du dernier des auteurs vivants. Pourquoi cette exception ? Parce qu’il est admis que la collecte auprès des diffuseurs (bals, salles de concert etc.), et la distribution des droits par la SACEM, n’a pas pu s’effectuer dans des conditions normales durant les périodes de guerre.

Pour la Première Guerre Mondiale, la durée de prorogation est de : 6 ans et 152 jours.

Pour la Seconde Guerre Mondiale, la durée de protection est de : 8 ans et 120 jours.

Pour les œuvres publiées avant le 31 décembre 1920, les deux durées de prorogations se cumulent. Soit un total de 14 ans et 272 jours.

Prenons un exemple concret :

Le Trio en LA mineur de Maurice Ravel a été composé en 1914.

Maurice Ravel étant décédé le 28 Décembre 1937, la durée de protection post mortem de cette œuvre débute le 1er Janvier 1938. Composé avant le 31 Décembre 1920, le Trio est protégé pendant 84 ans et 272 jours à compter du 1er Janvier 1938. (1938 + 70 ans + 14 ans et 272 jours de prorogation). C’est dans le courant de l’année 2022 que le Trio de Maurice Ravel est entré dans le Domaine Public.

En revanche, le cas est différent pour son célèbre Boléro composé en 1928.

Il est entré dans le Domaine Public dans le courant de l’année 2016 puisque ne rentre en ligne de compte que la deuxième prorogation de la Seconde Guerre Mondiale, soit 8 ans et 120 jours. (1938 + 70 ans + 8 ans et 120 jours). Le Boléro est donc dans le Domaine Public fin Avril 2016.

Il existe encore, et uniquement en France, une troisième prorogation exceptionnelle, celle des auteurs Morts pour la France. Dans ce cas, l’œuvre bénéficie de 30 ans supplémentaires de protection légale. C’est notamment le cas du célèbre compositeur de cinéma Maurice Jaubert, mort au combat le 19 juin 1940.

Le cas particulier de la protection américaine

Le Sonny Bono Copyright Term Extension Act

Ancien assistant de Phil Spector, producteur, compositeur et membre du fameux duo Sonny and Cher, Sonny Bono, devenu homme politique et maire de Palm Springs en Californie, est à l’origine de cette loi votée par le Congrès en 1998.

Il a été beaucoup dit que cette loi avait pour fondement un fort lobbying en faveur de la protection des droits de Walt Disney sur Mickey Mouse, qui devait entrer dans le domaine public en 2003. C’est la raison pour laquelle elle a été ironiquement surnommée « The Mickey Mouse Protection Act ».

Grâce à cette loi, toutes les œuvres américaines publiées entre 1923 et 1978 bénéficient d’une durée de protection incompressible de 95 ans à partir de leur date de publication aux Etats-Unis. Par exemple, Rhapsody In Blue, toujours de George Gershwin, publiée aux Etats-Unis en 1924, est réputée être dans le domaine public en Europe en 2016, mais ne le sera qu’en 2019 aux Etats-Unis si toutefois cette œuvre n’a pas fait l’objet de collaborations avec des auteurs décédés postérieurement à la disparition de Georges Gershwin.

La durée de protection légale des œuvres, littéraires et musicales, n’a pas cessé de s’allonger au fil du temps. D’abord 5 puis 10 ans après le décès de l’auteur à la fin du XVIIIème siècle, puis de 50 ans post mortem de 1866 à 1985, elle est aujourd’hui, et comme nous l’avons vu, de 70 ans post mortem. Rien ne dit que de nouvelles prorogations n’auront pas lieu à l’avenir malgré le souhait de certains acteurs du web ou des communications de voir, au contraire, se réduire cette durée.

Nous avons évoqué le cas de la plupart des pays européens et des Etats-Unis. mais il faut savoir que chaque pays possède en la matière sa propre législation. Par exemple, une œuvre peut être dans le Domaine Public au Mexique mais pas aux Etats-Unis. Aussi, vous pourrez toujours vous reporter au site : Durée du droit d’auteur par pays — Wikipédia (wikipedia.org) lequel précise l’ensemble des durées de protection légale dans le monde pays par pays.  

 

Il ne faut pas confondre la durée de protection légale des œuvres musicales et celle des enregistrements :

Récemment, les droits voisins qui protègent les enregistrements en Europe, ont vu leur durée de protection légale, fixée originellement à 50 ans après leur publication, être prorogés de 20 ans. Néanmoins, cette prorogation s’appliquant à compter du 1er novembre 2013, les enregistrements entrés dans le domaine public en Europe avant cette date, soit avant 1963, ne bénéficient pas d’une mesure rétroactive de protection, et demeurent donc dans le domaine public.

Pour autant, ce n’est pas parce qu’un enregistrement est dans le domaine public que l’œuvre qui s’y trouve reproduite l’est de facto. Chacun peut publier en CD un enregistrement du Domaine Public – c’est à dire publié la première fois il y a plus de 70 ans à condition de s’acquitter auprès de la SDRM des droits mécaniques dus aux auteurs et aux éditeurs dont les œuvres sont, elles, toujours protégées.

Frédéric Leibovitz – janvier 2016