De nos jours, il est bien rare que les producteurs de magazines de télévision aient le budget nécessaire pour faire composer de la musique en enregistrant de vrais instrumentistes (même s’il existe quelques exceptions dans les domaines du téléfilm et du documentaire). La plupart du temps, ils ont recours à l’utilisation de musique d’illustration sonore ou embauchent un compositeur homme-orchestre pour réaliser leur musique.
Le compositeur travaillant en MAO (Musique Appliquée par Ordinateur) est devenu un magicien maniant toutes les formes musicales et tous les styles. Vous avez besoin de pop, il vous compose de la pop, vous avez besoin d’un orchestre symphonique, vous aurez un orchestre symphonique. Une musique traditionnelle, pas besoin d’aller très loin pour en trouver, l’ordinateur fournit également tous les cheng, sitar, kora, biwa, tambour du monde. Et ce n’est plus le producteur qui paye l’orchestre mais le compositeur qui mois après mois s’équipe en matériel, ordinateur, carte son, enceintes de qualité et instruments samplés de plus en plus sophistiqués et de plus en plus efficaces.
Le compositeur est devenu homme orchestre
Mais il porte encore plusieurs autres casquettes qu’il interchange en fonction des différentes étapes de son travail.
Il est d’abord musicien bien sûr. Il a souvent fait des années de conservatoire ou d’école de musique et si ce n’est pas le cas, il a passé des heures à s’escrimer sur son instrument, le faisant hurler, crier -ainsi que ses voisins – puis peu à peu chanter. Il a généralement été formé très jeune et si l’on comptait ses heures d’apprentissage on arriverait bien vite à bac + 10. Il a ensuite, en fait dès que ses moyens le lui ont permis, acheté un ordinateur avec une carte son, un micro, un ampli. Et là, ont commencé pour lui deux nouvelles formations : informaticien, et compositeur de MAO. Des heures dans sa chambre à lire (souvent en anglais) les modes d’emploi des logiciels, à se battre avec l’ordinateur, les mises à jour, les pannes. Des nuits blanches à réparer, à régler les machines, et plus de temps pour pratiquer son instrument.
Une fois le logiciel conquis, il s’est retrouvé devant une porte ouverte sur un monde extraordinaire. Soudainement, tous les jouets (musicaux) de la terre étaient à sa portée, pour lui seul. Et bien pensez-en ce que vous voulez, mais c’est très perturbant. Par quoi commencer? Quel instrument utiliser quand on a passé simplement 15 ans de sa vie à jouer de la guitare ou du piano? Et comment utiliser ces instruments-machine? C’est à ce moment que commencent sa quatrième et sa cinquième formation et pas des moindres : apprendre à arranger et à faire vivre des instruments de synthèse.
Si le compositeur a la chance d’avoir le statut d’intermittent du spectacle, il peut se payer une formation. Sinon commence la longue marche de l’autodidacte, farfouiller, bidouiller, passer ses soirées sur des forums, chercher l’information partout où c’est possible, faire des essais, recommencer et recommencer jusqu’à ce que ça sonne. Car il est loin le temps où les adeptes de la grande bleue, redonnaient naissance à la baleine ou à la mouette sur un tapis de nappes nébuleuses. Aujourd’hui, on demande au compositeur de reproduire l’orchestre mais surtout que cela sonne et que l’on n’entende pas la désincarnation électronique de ces instruments forclos dans l’immensité virtuelle.
Et que l’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas parce qu’enfin il possède toute la panoplie du petit compositeur virtuel, qu’il peut s’endormir sur son clavier. Les logiciels sont en constante évolution, de nouvelles banques d’instruments sortent sans arrêt, rendant obsolètes les versions précédentes ou au mieux les complétant. Le compositeur doit être à l’affut, continuer à investir financièrement et à apprendre à utiliser les nouvelles banques de sons qu’il achète. Chacun maîtrise d’ailleurs sa machine à sa manière. Chacun a ses recettes pour faire sonner tel ou tel instrument, apprendre à masquer un hautbois dont le son virtuel n’a pas encore atteint la souplesse réelle, tout en le laissant dans l’ensemble, décider d’utiliser tel instrument de cette banque avec le même d’une autre banque pour améliorer le son et beaucoup d’autres secrets que je ne révèlerai pas ici.
Un métier en constante évolution
Mais cela n’est pas tout, il reste au compositeur un dernier métier à maîtriser et pas des moindres car il nécessite normalement trois ans d’études : celui d’ingénieur du son. Car ce n’est pas tout de savoir jouer, composer, arranger, diriger un orchestre, faire de l’informatique, il faut aussi savoir faire des prises de son et mixer. C’est-à-dire, choisir les bons micros et lors du mixage placer les instruments dans l’espace, maîtriser les volumes des uns par rapport aux autres, ce qui est tout un art et demande à se concentrer sur une autre forme d’écoute qui n’est pas forcément facile à maîtriser. Quand on a le nez collé sur l’écran et l’esprit absorbé par la composition depuis des jours, il peut arriver que l’on manque de recul, qu’on n’entende plus avec l’oreille neuve de l’ingénieur du son qui vient juste d’enregistrer les interprètes et qui connaît bien ses micros, les espaces et la musique. Il faut pouvoir redécouvrir le morceau comme s’il venait de quelqu’un d’autre pour savoir entendre avec une oreille vierge.
Mais on demande aussi cela aux compositeurs.
La maîtrise de tant de techniques différentes et la qualité des samples font de la nouvelle génération de compositeurs des professionnels d’un nouvel âge. Elle est bien loin l’image du compositeur devant sa page blanche et son crayon. Mais attention, cela ne signifie pas qu’ils ne sont devenus que des techniciens informaticiens. Loin de là. La première de leurs qualités reste leur pouvoir de création, mais cet art passe à présent par la maîtrise de la machine. Elle devient un nouvel instrument de musique qu’il doit connaître aussi bien que son instrument premier car c’est par elle qu’il pourra mettre en valeur sa création.
Quant à nous, tout en ayant pris en compte ces nouveaux paramètres de la création musicale, nous continuons à travailler avec des interprètes, en chair et en os qui enrichissent de leur art et de leur sensibilité, les instruments virtuels nés de l’ordinateur. Les musiques que nous produisons retrouvent ainsi l’émotion musicale créée par la richesse harmonique des instruments et par l’interprétation.