Tout comme le Code de la Route ou le Code des Impôts, le Code de la Propriété Intellectuelle comporte un article invisible qu’il est utile de rappeler : l’article zéro. Cet article essentiel dit « pas vu, pas pris ». L’inconvénient est qu’il est suivi de l’article zéro bis qui stipule : « vu… pris ». Rappelons également l’adage bien connu dans le milieu de la musique : « quand il y a succès, il y a procès ». Mais trêve de plaisanteries.
En art et en littérature, le plagiaire est celui qui s’est rendu coupable d’un emprunt abusif à une œuvre originale. C’est-à-dire celui qui en a fait une copie.
La contrefaçon est, dans le domaine de la musique, l’usurpation du droit de propriété intellectuelle. En copiant une œuvre originale, le plagiaire se rend coupable de contrefaçon. Il vole l’œuvre d’autrui.
Mais le mot « original(e) », accolé à « œuvre », a un sens bien précis en droit.
L’œuvre originale et l’œuvre nouvelle
Est dite œuvre originale celle pour laquelle on ne connaît pas d’antériorité. C’est-à-dire, dans le domaine musical, une œuvre dont la mélodie ne ressemble pas à une autre préexistante.
Si ce qui fonde l’originalité d’un roman ou d’une pièce de théâtre réside dans l’histoire ; ce qui est relativement facile à identifier, il est en revanche beaucoup plus délicat de démontrer l’emprunt en matière musicale. A l’apparition du droit d’auteur, dans la première moitié du XIXème siècle, les juristes se sont interrogés pour définir ce qui devait constituer l’originalité de l’œuvre musicale. Ni le rythme, commun à de nombreuses œuvres, ni l’harmonie, dont les suites sont récurrentes, ne pouvaient être pris en considération pour statuer sur le fait qu’une œuvre musicale puisse être considérée comme originale ou non. En conséquence, la mélodie a donc été retenue comme le principal élément tangible définissant l’originalité. Cependant, en cas de conflit entre deux compositeurs, des similitudes de l’harmonie et du rythme seront des éléments susceptibles d’être pris en compte pour démontrer l’intention du plagiaire supposé.
Par exemple : en 1966, Franck Sinatra chante Strangers in the Night de Bert Kaempfert – musique de Charles Singleton et paroles d’Eddie Snyder. C’est un succès planétaire. Un compositeur français, Philippe Gérard, attaque les auteurs et éditeurs de Stangers in the Night pour plagiat de la mélodie de sa chanson Magic Tango, Mais, bien que les deux mélodies se ressemblaient, Philippe Gérard n’a pas obtenu gain de cause parce que sa chanson Magic Tango, présentait elle-même, des ressemblances avec d’autres mélodies préexistantes. Une centaine paraît-il. Strangers in the Night est donc une œuvre originale pour l’ensemble que forment les paroles et la musique, mais la mélodie seule ne l’est pas.
Dans ce cas, la mélodie qui n’est pas originale – puisque d’autres plus ou moins semblables existaient auparavant -, est dite : œuvre nouvelle. Lors de contestations quant à la propriété d’une œuvre, il appartient donc aux compositeurs mis en cause de démontrer que leur mélodie n’est pas originale en recherchant des antériorités. Paradoxal non ?
L’œuvre nouvelle, ou en partie nouvelle, est, par exemple, celle qui emprunte une mélodie appartenant au domaine public mais dans un nouvel arrangement, ou encore avec des paroles inédites. Lemon Incest, de Serge Gainsbourg, qui emprunte la mélodie de l’étude n° 3 en mi majeur op. 10, « Tristesse »,, de Frédéric Chopin est typiquement une œuvre en partie nouvelle ; même si ces paroles sont originales. Serge Gainsbourg, pour ne citer que lui, a largement emprunté des thèmes classiques dans ses chansons. C’est notamment le cas de Baby Alone in Babylone d’après le premier mouvement de la Symphonie n°3 de Brahms ou encore Initials BB sur l’un des motifs de la Symphonie du Nouveau Monde d’Anton Dvorak. Si Serge Gainsbourg a effectivement fait appel à ces mélodies pour créer des œuvres nouvelles, il n’a pas pour autant usurpé indûment le bien d’autrui puisque les œuvres appartiennent au domaine public.
Il faut noter que, dans le cas d’œuvres nouvelles telles que celles dont les mélodies sont empruntées au domaine public, folklore ou classique, la SACEM a décidé depuis 2020 d’en répartir les droits comme une œuvre sans emprunt au domaine public.
Comment démontrer le plagiat ?
Un moyen usuel de démontrer la ressemblance entre deux œuvres est d’en transcrire leurs mélodies dans la même tonalité sur deux feuilles calques séparées, puis, de les superposer. Seule la comparaison des hauteurs et des écarts est à prendre en compte. La superposition des deux portées fait alors apparaître les similitudes pouvant exister entre deux mélodies. Les tribunaux peuvent également faire appel à des experts agréés dont le rôle est de fournir au juge des expertises lui permettant de fonder une décision.
Les cas de ressemblance, ou rencontre dite fortuite
L’un des cas les plus connu de ressemblance fortuite, est certainement celui de la chanson Feelings de Morris Albert, compositeur et chanteur brésilien né en 1951. Sa date de naissance est importante dans l’affaire qui l’a opposé durant de longues années à la chanteuse et comédienne Line Renaud. Le mari de Line Renaud, Louis Gasté, avait composé en 1956 une chanson intitulée Pour Toi. Après le succès mondial de Feelings en 1974, dont l’adaptation française Dis Lui, avait été un des plus grands succès de Mike Brandt, Louis Gasté a attaqué Morris Albert et ses éditeurs en raison des similitudes mélodiques entre les deux œuvres.
En 1956, année de la publication de Pour Toi, de Louis Gasté, Morris Albert avait 5 ans. Pour Toi n’ayant pas rencontré le succès, ni en France, ni a fortiori au Brésil, il est peu probable que Morris Albert ait pu l’entendre, et surtout se souvenir de cette mélodie. Cependant, Pour Toi avait été introduite au Brésil dans un film que Morris Albert, alors enfant, aurait pu voir. Cet argumentent a été avancé par les avocats de Louis Gasté. Il est certes insuffisant mais un autre élément est venu étayer la thèse des avocats de Louis Gasté : Pour Toi avait été sous-éditée au Brésil par la même société qui était propriétaire des droits éditoriaux de Feelings. Dès lors, un lien a pu être établi entre les deux œuvres et, après une longue une longue bataille juridique, les auteurs de Feelings sont désormais Morris Albert et Louis Gasté.
Malgré le compromis statuant sur la copropriété de Feelings, il semble assez peu probable qu’en 1974, Morris Albert, à l’époque âgé de 23 ans, ait pu plagier consciemment une mélodie française inconnue et supposée avoir été diffusée dans son pays alors qu’il avait entre 5 et 10 ans tout au plus. Si cela était le cas, il s’agirait d’une réminiscence troublante.
Les services musicaux de la SACEM
La SACEM détient un dictionnaire musical de plusieurs centaines de milliers d’œuvres dont les huit premières mesures sont transcrites sans tonalité. Un système de classement ne prenant en compte que les hauteurs et les écarts permet d’identifier les ressemblances. En cas de contestation, il est possible, avec l’accord des intéressés, de faire appel aux services musicaux de la SACEM pour arbitrer un conflit entre deux compositeurs. L’expérience montre qu’il n’existe pas beaucoup de mélodies pouvant être considérées comme parfaitement originales.
Une idée reçue
Comme nous l’avons vu, le dictionnaire musical de la SACEM prend en compte les 8 premières mesures des mélodies qui y sont référencées. C’est probablement la raison pour laquelle persiste une rumeur selon laquelle il est possible de plagier, ou d’utiliser, 7 mesures dès lors que la 8ème est différente ! Il faut tordre le cou à cette légende urbaine. Pour cela, il suffit de fredonner Yesterday en battant la mesure. Vous vous rendrez immédiatement compte, dès la 2ème mesure, de l’absurdité et de la dangerosité de cette rumeur.
A la manière de…
Tout compositeur peut s’inspirer de la manière, du style d’un compositeur, mais à condition de ne pas plagier une œuvre déterminée. Il existe de nombreux cas de chansons à la manière de tel ou tel artiste connu. Les Beatles ont eu, et ont toujours, de nombreux imitateurs. Emprunter des tics de composition n’est pas répréhensible. Maurice Ravel a par exemple composé des pièces à la manière de Borodine et de Chabrier alors que leurs œuvres étaient encore protégées.
Il est évident que, lorsqu’un musicien impose une manière qui devient une référence, il essaime parmi ses admirateurs, lesquels ne peuvent que composer à la manière de. En France, le revival du swing manouche à donné naissance à des compositions dans le style de celles de Django Reinhard et Stéphane Grappelli sans pour autant considérer ces œuvres nées du genre swing manouche comme des plagiats.
Le sampling
Sampler un enregistrement sans autorisation de ses propriétaires est bien évidemment une contrefaçon. Même si, dans ce domaine spécifique, le « pas vu, pas pris » est souvent de règle. Sampler sans autorisation est à la fois répréhensible au plan du droit d’auteur, mais aussi au plan de la protection sur les enregistrements ; du droit voisin. A ce sujet, un cas bien connu est celui de The Verve contre les Rolling Stones. Bien que The Verve aient obtenu l’autorisation d’emprunter une partie de cordes de l’enregistrement d’une version orchestrale de The Last Time, ils ont été accusés par les Rolling Stones d’avoir abusé de cet emprunt dans leur chanson Bitter Sweet Symphony. Après que l’affaire ait été portée devant les tribunaux, tous les droits de cette chanson sont revenus aux Rolling Stones.
L’évolution de la notion de plagiat
L’évolution de la notion de plagiat touche aujourd’hui le droit sur les enregistrements. Depuis le début des années 80, et un peu partout dans le monde, le droit voisin qui protège les enregistrements empêche la production et l’exploitation des sound-alike. Pour rappel, un sound-alike est la copie d’un enregistrement existant.
cependant, il existe une différence entre un sound-alike et un cover, ou cover version.
Ray Charles chantant Yesterday ne fait pas un sound-alike. Il donne sa vision de la chanson de Lennon et McCartney. La réinterprétation a toujours existé et c’est même la coutume de la chanson populaire. Tous les jazzmen ont enregistré des covers versions des grands standards issus, pour la plupart, des comédies musicales américaines; par exemple Summertime extrait de Porgy & Bess).
Au contraire du cover, le sound-alike s’inscrit davantage dans l’imitation de l’enregistrement de référence dans un but strictement mercantile. Par exemple, un publicitaire qui acquiert les droits éditoriaux de synchronisation d’une chanson pour un film peut, légalement, et s’il ne parvient pas à acquérir les droits de l’enregistrement de cette chanson, faire réaliser un cover de cette chanson. Il faudra cependant que ce cover diffère de l’enregistrement de référence ; par exemple dans l’arrangement. Mais, si ce publicitaire cherche à faire un sound-alike, c’est à dire en copiant sciemment l’enregistrement de référence, il commet alors un acte répréhensible : une contrefaçon, autrement dit le plagiat d’un enregistrement.
La contrefaçon des enregistrements était un phénomène fréquent, et difficilement répréhensible, avant l’instauration du droit voisin dans les années 80. Récemment, cette relativement nouvelle forme de plagiat a très probablement été prise en considération par les juges de l’affaire Blurred Lines.
Le cas Blurred Lines
Blurred Lines de Robin Thicke et Pharrell Williams présente, au plan purement mélodique, des similitudes avec Got to Give it Up de Marvin Gaye. Cependant, pour tout musicien averti, et qui plus est si nous superposons les transcriptions par le système des calques, les deux lignes mélodiques sont sensiblement différentes. Il existe très certainement, dans le funk ou dans soul music, des milliers de mélodies proches de celles de ces deux chansons. Il est également probable que les avocats de Robin Thicke et Pharrell Williams ont dû avancer cet argument. Mais, à l’évidence, ce que les juges ont pris en considération pour donner gain de cause aux héritiers de Marvin Gaye est l’ambiance générale qui se dégage des deux enregistrements. Dans ce cas, l’élément mélodique du plagiat est certes important mais pas déterminant. Il en aurait été très différemment si Robin Thicke et Pharrell Williams n’avaient pas emprunté des éléments de l’arrangement, voire de la production de l’enregistrement de Marvin Gaye. Cette affaire crée un précédent susceptible de constituer une jurisprudence dans les cas de plagiats d’arrangements et, au-delà, de productions d’enregistrements.
Le sujet est vaste et inépuisable.
Nous conclurons par une citation attribuée à Igor Stravinsky :
« Le bon compositeur ne s’inspire pas… Il pille »
Frédéric Leibovitz – décembre 2018